Société, mon amour...
Je suis tellement désolée de te faire outrage, moi, l'Anormale, de dépasser de la case dans laquelle tu tentes de me ranger, me bardant d'étiquettes politiquement correctes afin de gommer celle que je suis, de m'aseptiser pour vouloir me faire rentrer dans le troupeau des gens normaux…
Je suis désolée, je suis grosse, et je ne peux, ni surtout ne veux, cacher mon gros ventre, mes grosses fesses, mon double menton, mes gros bras, mes grosses cuisses, tout chez moi est moelleux et je comprends que tu vois rouge en m'apercevant du coin de l'œil… moi, la citoyenne anormale…
A la rigueur, tu pourrais peut être passer l'éponge si j'étais mal dans ma peau d'orange, au lieu d'arborer sans complexe ce corps déformé par les kilos qui s'accumulent, si ma masse se fondait dans la masse, camouflée dans un ample pantalon gris, de préférence informe.
J'ai conscience de te faire outrage puisque le noir que je porte ne vise nullement à m'affiner mais bien à m'affirmer, puisque le tissu épouse mes formes, dévoile ma peau, galbe ma chair qui saute aux yeux de tous, à croire que je me complais à être en marge, au lieu de suivre gentiment le berger.
Et dire que je ne m'arrête même pas là et que je te mets mal à l'aise, bafouant la morale bien pensante, les mœurs d'usages, en offrant mon corps et mon cœur à des hommes.. mais surtout aussi, à des femmes.. DES FEMMES!
Marginale parmi les marginaux, quelle est donc ta théorie à mon sujet ?
Bisexuelle ? Hétéro refoulée ? Lesbienne refoulée ? Détraquée sexuelle ?
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai aussi la vague impression que mon opulente compagne te ferais tendre vers la dernière solution...
Car si, chère Société, tu tolères, voir même acceptes, à la limite, une femme aimant une autre femme.. une "grosse" par contre ne peut aimer une autre femme également grosse que par dépit.. et non par goût ni désir purement sensuel…
N'est ce pas ????????
Nous le savons bien, tu nous le répètes de façon permanente, personne de psychologiquement "sain" ni de "normalement constitué", ne peut avoir de désir pour le corps d'un gros ou d'une grosse…
N'est ce pas ?????
Et comme si tout cela était encore insuffisant, je m'expose...
Mon image, mon corps qui te fait horreur, si loin des normes consenties par cette majorité si avenante, je le montre, le jette à la figure de tes adeptes de la minceur, osant même afficher ma nudité sur des photographies..
tu murmures « au nom de l'art ».... mais tu trembles de tomber sur les plis et courbes de mon corps…
Et voilà que par pur exhibitionnisme j'expose ces clichés sur Internet, dévoilant au monde entier l'adiposité de mon corps, sûrement en quête de compliment, pour me conforter dans l'idée que je ne suis pas repoussante, que mon image a autant de valeur que celle de l'un de tes citoyens lambda…
Mais tu es si loin de la vérité, chère société bien pensante et moralisatrice, je fuis la cohue de ta normalité et pas seulement à cause de mon agoraphobie, je fuis cette vie qui ne me ressemble pas, car j'ai appris à être moi, à cause ou grâce à cette graisse qui jalonne mon corps, il m'a fallu déconstruire cet idéal que tu avais créé pour les autres, la masse, et ouvrir les yeux, lire entre les lignes ce que serait ma vie, décrypter mes droits, mes possibilités et m'abreuver de tout cela, plonger au creux de mon âme pour savoir qui je suis…
Et aujourd'hui je ne crains plus de le dire…
Je suis cette grosse femme que tu vois, que tu critiques te cachant derrière un prétexte de santé publique pour me dénigrer, me diminuer
Vouloir faire ainsi de moi juste un cas pathologique ne te rendra pas service….
Je suis cette femme avec ce si joli visage, comme tu dis, sous lequel s'étend une montagne de graisse bardée dans des vêtements outrageusement moulants, refusant la normalité jusque sur la couleur des mes ongles…
Je suis cette fumeuse acharnée qui refuse d'envisager d'arrêter.
Je refuse le concept du mariage et de fidélité tout comme je refuse également de mettre au monde un enfant sur cette planète nauséabonde....
Je suis cette artiste hors convention, anticonformiste, qui aime les individus pour leur valeur et non pour leur popularité, qui récuse les normes, les masses et leurs opinions conformes.
Je suis cette FEMME au cœur ouvert à tous ceux méritant l'amour : hommes, femmes, gros, minces, blancs, vieux, noirs, transsexuel/es, travesti/es (etc…) les aimant pour eux-même et non pour leur "genre".
Je suis au bord du gouffre en permanence, sorte de Narcisse fascinée par la mort, par l'ailleurs, abreuvée de Baudelaire, petite fille rêvant bien davantage d'être Ophélie que Barbie....
Alors, chère société, quand tu auras fini que sceller la caisse et de bien coller tes jolies étiquettes pour me reléguer à ma place, au bout du monde (ou à l'asile, selon ton bon vouloir), n'oublie pas les seules étiquettes qui me tiennent à cœur : FEMME & FRAGILE, car je suis et reste malgré tout juste un être humain...
Lysa_ M